Le labo des spectateurs, spectatrices

François Bon : « J’ai créé mon premier site en 1997 (…) j’étais le 800ième site français »

Verbatimou simplement « ce qu’on s’est dit ». Extraits retranscrits mot à mot de nos échanges, de nos rencontres avec les invité.e.s du Labo, en marge des spectacles : chercheur.euse.s, écrivain.e.s, artistes de toutes disciplines... Comme autant d’instantanés de paroles, de choses attrapées au vol.

 

François Bon est la gentillesse même, il n’a pas hésité une seconde quand je l’ai contacté pour rencontrer le « labo des spectateur.rices », et pourtant, Bon, c’est un grand, une grande figure de la littérature contemporaine qui déborde de projets, de savoir-faire, c’en est vertigineux : il a publié chez les plus grands éditeurs (Minuit, Gallimard, Grasset, Fayard, Albin Michel…) Publié quoi ? des romans, des essais, des livres pour la jeunesse, des biographies (Stones, Dylan, Koltès…), des traductions (Malt Olbren, Ambrose Bierce…), du théâtre

François Bon © Jean-Luc Bertini 2011© Jean-Luc Bertini, 2011

François Bon est un pionnier à bien des égards, de l’écriture de soi et du réel, décortiqué, inventorié, fut-il minuscule, car de lui jaillissent les histoires et la poésie :
« Le roman ne suffit plus, ni la fiction, les histoires sont là dans la ville qui traînent dans son air sali, suspendues aux lumières, ou très haut qui résonnent dans les rues vides, les rues comme mortes des quartiers sans enseignes. » François Bon, Impatience, Minuit.

Mais Bon est aussi performeur, lecteur… Editeur. Il est une aventure de l’édition à lui tout seul, créateur de la première plateforme d’édition numérique en France avec son tentaculaire Tiers Livre qu’il abonde régulièrement de ses lectures, traductions, coups de cœur et publications à venir, toutes disponibles en livres papiers ou formats numériques.
Porteur de ses textes et de ceux des autres sur les réseaux (sa super chaine youtube ici) Sa démarche est ancrée depuis des années dans une passionnante mise en abime : pas d’écriture sans support, sans un livre, objet ou numérique, c’est-à-dire sans une aventure humaine, sans une « toile » composée d’individus comme autant d’univer. L’écriture doit être partagée, s’inscrire dans un devenir collectif, multiple.

François Bon est, enfin, LE représentant des pratiques d’atelier d’écriture en France s’il en fallait un. Un des premiers à prodiguer des ateliers partout (écoles d’arts ou d’écriture, en groupe ou individuellement…), à populariser en France les creative writing. Une raison, encore, de fréquenter le Tiers Livre abondamment documenté sur le sujet !

Au « labo des spectateur.rices », on s’est dit qu’à cela ne tienne ! Plus de théâtre pour le public ? on va rencontrer des écrivains ! on va écrire avec eux !
Nous avons eu la grande chance de pouvoir le faire avec le pionnier de la pratique d’atelier à deux reprises en février et mars, ce qui a produit 14 textes (7 participant.e.s en tout).

Un extrait ici de son expérience en tant que créateur du premier site littéraire en France, où l’on comprend pour François Bon l’importance du lien entre la création littéraire et ses différents supports à travers les âges, copiés à la main puis imprimés, numérisés…

« En 1988 à Berlin, juste un an avant la chute du mur, c’est la première fois que je vois une machine à écrire avec un clavier et une espèce de poste de télé… je ne comprenais pas comment ça marchait… C’était l’Atari 1040 et dès que je suis revenu, j’ai commandé un Atari 1040…

J’avais quelques copains comme Didier Daeninckx ou Valère Novarina qui avaient déjà des petits Mac classiques, des petits cubes comme ça, et petit à petit ces choses-là ont pris de l’importance… »

« J’ai créé mon premier site en 1997 (…) j’étais le 800ième site français. On n’aurait jamais imaginé le web tel qu’il est aujourd’hui avec le poids grosses boites, Amazon etc. … »François Bon

« L’internet est venu pour moi en 1996, presque un quart de siècle maintenant, et j’ai créé mon premier site en 1997. J’avais eu un prix de Wanadoo, parce que j’étais le 800ième site français, ils m’avaient offert un logiciel… à l’époque il y avait encore le minitel, la BNF n’avait pas de site, Beaubourg n’avait pas de site, etc…

Donc ça a été aussi une expérience enthousiasmante, toutes les questions de livres numériques, les idées qu’on a mises là-dedans… On n’aurait jamais imaginé le web tel qu’il est aujourd’hui avec le poids grosses boites, Amazon etc… toute la logique économique dessous. Mais en tant qu’espace de création il m’a permis de travailler sur les questions de transition, un exemple : Rabelais, lui, a écrit au moment où apparaissait l’imprimerie. Lui-même va chez un certain Claude Nourry (dit Le Prince) pour faire imprimer ses traductions, et c’est pour faire vivre l’imprimerie que Rabelais va transformer des vieux recueils de farces « Gargantua » qui existent déjà depuis des dizaines d’années. Il va faire une espèce de jeu sur des farces étudiantes et appeler ça « Pantagruel fils de Gargantua » avant d’écrire lui-même son propre Gargantua. Ce recueil de farces avait pour but de faire vivre l’imprimerie.

Sur ces histoires de transitions en France ça reste très structuré : les facs de lettres d’un côté, la fabrication du livre de l’autre, ça ne se mélange pas… Toute l’histoire de la littérature est pourtant liée à question du support, de comment ce support est publié et comment il est diffusé.

« Toute l’histoire de la littérature est pourtant liée à question du support, de comment ce support est publié et comment il est diffusé. »François Bon

« Homère par exemple, c’est le nom d’un collectif d’aèdes aveugles qui passent dans tous les villages et qui ont organisé un corpus mémorisable sur les légendes de la ville de Troie…

A un moment donné, vers – 800 av. JC, arrive la maitrise du papyrus où l’on peut transcrire, et à ce moment-là, Homère devient un corpus stabilisé parce qu’il y a ce support nouveau.

De même, l’origine de l’écriture passe par l’image : c’est le sceau qui permet d’exercer le pouvoir à distance, ou ce sont les cartes de divination du foie… L’écriture nait d’après l’image et ça, ce sont des choses découvertes très récemment, il y a à peine quinze ans.

Travailler avec le numérique oblige à réviser des éléments ultra simples, fondamentaux, oui, ça vaut le coup d’explorer ces transitions en tant que telles… »

« Ce qui m’a le plus fasciné progressivement dans les ateliers d’écriture, c’est le moment où on construit le déclanchement. Avec ces histoires d’ateliers par Zoom ce sont de beaux défis. En prison par exemple, tu as douze ou quatorze minutes, pas plus… En école d’art tu as entre 50 min / une heure, on rythme différemment. Avant j’étais surtout dans l’idée que l’écriture ça se travaille, tu prends un jet, tu le reprends etc., le relis, avec l’ordinateur tu peux bidouiller à l’infini, alors qu’à la machine c’est le tipex, le ciseau, les agrafes… ça te forçait à aller dans l’économie… Mais de voir comment dans l’esprit d’une tension le premier jet peut être une espèce de saut dans l’inconnu qui se suffirait à soi-même…

J’ai toujours travaillé parallèlement sur la genèse des écritures, Flaubert est génial pour ça, il faut aller voir le site d’Yvan Leclerc sur ses travaux. Henri Michaux par exemple c’est impossible de travailler là-dessus : il avait une sorte de broyeuse à texte à côté de sa machine à écrire et dès que c’était recopié il éliminait toutes les épreuves… »

« L’atelier (d’écriture) m’a amené à mentaliser plus ce qu’il se passe avant de se mettre à écrire. »François Bon

« Ce qu’on travaille en écriture, dans les ateliers c’est comment générer du texte à partir d’éléments d’intuition. Artaud, par exemple, la façon dont se cristallise le texte ne l’intéresse pas, mais ce qu’il se passe dans l’intuition et qui amène à la prise de langage, c’est pour lui l’objet même de sa littérature. Comment l’intuition devient choix de forme et de figure. L’atelier m’a amené à mentaliser plus ce qu’il se passe avant de se mettre à écrire. Le moment où je commence à écrire : je ne sais pas ce qu’il y aura dans ce texte mais je sais que je suis prêt, et cette tension-là, c’est ce aussi ce que j’ai tiré des ateliers. »

 

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