Le labo des spectateurs, spectatrices

Anthony Poupard : « On est très souvent intéressés par celles et ceux qui pensent ne pas être intéressés par le théâtre. »

Verbatimou simplement « ce qu’on s’est dit ». Extraits retranscrits mot à mot de nos échanges, de nos rencontres avec les invité.e.s du Labo, en marge des spectacles : chercheur.euse.s, écrivain.e.s, artistes de toutes disciplines... Comme autant d’instantanés de paroles, de choses attrapées au vol.

 

Du 10 au 12 juin à 18h, au Parc Grammont qui rappelle un peu les théâtres antiques, Anthony Poupard et les artistes Aurélie Mouilhade, Julien Chavrial et Laurent Sassi emmènent pas moins de 80 élèves du collège Camille Claudel de Rouen dans une réécriture d’Antigone, faite sur mesure, dont le titre a du souffle : Et voilà que mes cheveux se dressent quand j’entends les menaces de tous ces hommes hurlants. Nous l’appelons aussi Notre Antigone pour faire plus vite. Une aventure au long cours – commencée dès septembre – où élèves, artistes et professeurs se rencontrent, apprennent pendant une année scolaire à œuvrer ensemble. Une aventure à ciel ouvert (parfois couvert) qui a grandement mobilisée le CDN, son pôle public, sa production, sa technique…

Anthony Poupard © CDN Rouen© CDN Rouen

L’occasion pour le Labo des spectateurs d’assister à des répétitions et prendre mesure de ce travail titanesque qui mobilise en tout près d’une centaine de personnes. L’occasion de se retrouver enfin en vrai, après des mois de rencontres et d’activités en visio.

Anthony Poupard, acteur, metteur en scène et inventeur de ce projet nous a accordé quelques minutes de son précieux temps. Il nous explique la genèse de cette création singulière et sa méthode, la débrouille aussi, quand il s’agit de travailler avec autant de monde en milieu scolaire et en pleine crise sanitaire…

Notre Antigon © CDN Rouen© CDN Rouen

Le LaboOn a été impressionné·es par la manière de mobiliser les élèves, ce gros travail…

Anthony PoupardIls sont super, après ils sont très nombreux et nombreuses, alors évidemment on en perd un peu sa voix, ses nerfs aussi parfois ! Mais ce sont des gamins très très réveillés, très conscients, et musclés aussi quand ils décident de l’être. (…) On se connait, on se croise depuis septembre régulièrement donc oui, on connait leur prénom et comme j’écris pour elles et pour eux à chaque fois, je m’évertue à les rencontrer, à les cerner un peu.

Le LaboChaque fois tu écris un spectacle spécialement pour les élèves, c’est unique…

Anthony PoupardOui, par exemple hier, une dame nous a demandé si on pouvait remonter l’adaptation de l’Odyssée (joué à l’île de Groix, Ton Groix, mon Ithaque), si on pouvait la remonter dans son collège avec des jeunes, et j’ai dû dire non, je ne vois pas trop… C’est vraiment écrit chaque fois pour elles et pour eux, en fait… Après c’est sûr, c’est un peu, euh… frustrant je ne dirais pas le mot, c’est pas frustrant… Comment dire, c’est une sorte d’éclipse quoi, c’est-à-dire qu’on écrit le truc, on le joue trois fois, quatre fois, et on ne peut pas le reprendre, on ne peut pas partir en tournée avec des trucs comme ça… On ne peut pas emmener de décors etc. … Mais en même temps, justement, comme ça ne se fait que trois ou quatre fois ils donnent tout au moment où ça se fait. Ce sont de beaux souvenirs de théâtre mais ça ne dure pas, on passe à autre chose.

Le LaboLa première fois que tu as fait un tel projet, tu savais que tu serais amené à le refaire ?

Anthony PoupardNon. La première fois que je l’ai fait c’était à Vire (Le Préau, CDN), quand j’étais acteur permanent, quand Pauline Sales était directrice, on devait créer « le festival ADO » là-bas et on avait beaucoup d’accointances avec ce public-là, je leur ai proposé de monter un spectacle et le plein air pour moi était évident puisque je voulais monter des Grecs et tout ça, et puis j’aimais bien le côté fête etc, les dionysies et tout et tout… Et en fait on l’a fait une fois, puis on nous a proposé de le refaire, Charlotte Flament (Secrétaire générale du CDN) était venue voir le spectacle et avait dit déjà : « tiens, garde le dans un coin de ta tête quand tu ne seras plus permanent à Vire, viens faire un truc chez nous. »

Notre Antigone © CDN Rouen© CDN Rouen

« Ce ne sont pas des projets que je monte sans être invité par quelqu’un qui va me présenter un collège, des gens, un territoire. »Anthony Poupard, metteur en scène

Et puis on en a refait un pour la dernière année à Vire en 2018, et ensuite le CDN de Lorient nous a proposé d’en faire un aussi, du coup ce ne sont pas vraiment des projets que je monte sans être invité par quelqu’un qui va me présenter un collège, des gens, un territoire. Il faut que la structure connaisse le territoire, les gens.

Là ça s’est fait parce qu’ils (le CDN) connaissent bien le collège Camille Claudel et Soazig (Soazig Kernoa, professeure de français et latin au collège Camille Claudel) la prof relai, qui est quelqu’un sans qui le projet ne pourrait avoir lieu. Donc tout ça, c’est les forces vives des lieux qui font qu’on peut se rencontrer, sinon je n’arrive pas comme ça avec un projet tout ficelé… et comme on ne joue jamais dans les théâtres ça demande beaucoup de gens, de logistique. Ça s’est toujours très bien passé donc il n’y a pas de raison que ça se passe pas bien encore cette fois !

Le LaboComment vous faites pour choisir ceux qui vont justement avoir du texte à apprendre et à interpréter ?

Anthony PoupardEn fait, à la base c’est sur du volontariat, mais très vite on s’est rendu compte que si on demande à des élèves : qui veut faire du théâtre, qui veut jouer des rôles, on retombe toujours un peu dans les mêmes choses, c’est-à-dire : on a les futures options théâtres, les futures littéraires qui vont faire ça bien et très justement, et sans surprise en fait un peu… Et puis bien sûr il y a celles et ceux qui sont a priori très loin de ça qui disent « non non, moi je ne veux pas, ça m’intéresse pas. » Et nous on est très souvent intéressés par celles et ceux qui pensent ne pas être intéressés… Peut-être parce qu’ils sont plus précieux, un peu plus « bruts » d’une certaine manière… En fait ce qu’il se passe c’est que là pour le projet, les 6ième, les 3ième et la classe de gréco-latinistes ont découvert en septembre que leurs classes étaient élues pour faire partie d’un projet, et en effet nous avions un peu choisi les classes en fonction du public etc. Et à côté de ça il y a une option théâtre qui s’est créée, et là il y a 15 gamins volontaires qui savent qu’ils ont trois heures de cours en plus de leurs cours pour jouer des rôles dans le spectacle, ce sont essentiellement ces élèves qui prennent les rôles des protagonistes, qui ne sont pas forcément dans les scènes collectives. Elles, on les a écrites par exemple pour les classes de 3ième, les « gardes » pour les classes de 6ième, le « prologue » pour les gréco-latinistes… mais après j’ai envie dire, parfois on est un peu surpris et on estime que, oui les options théâtre sont plus engagés donc on va leur donner les grands rôles mais…

« On est très souvent intéressés par celles et ceux qui pensent justement ne pas être intéressés. (…) On leur propose en début d’année d’appartenir à trois cercles différents. »Anthony Poupard, metteur en scène

Vous voyez par exemple, Hamza, qui est hospitalisé aujourd’hui et qui joue Hémon le fils de Créon, et qui peut-être ne jouera pas malheureusement parce qu’on ne sait pas s’il sera en état, il pourra être remplacé au débotté par Idriss à qui j’ai donné la partition tout à l’heure et qui a découvert que je comptais sur lui fortement. Et Idriss ne fait pas du tout partie des options théâtre, il est en 3ième, il dit trois répliques dans une scène, mais je trouve qu’il est super, je vois que ça l’éclate et qu’il sera capable de relever le défi en fait. Donc après les choix se font de manière un peu sentie, empirique, mais on leur demande quand même aussi de se positionner, on leur propose en début d’année d’appartenir à trois cercles différents. Le premier cercle qui est celui où ils viennent dans le cadre des cours faire du théâtre, et ils participent au moins au dernier week-end d’avant les représentations où toutes les pièces du puzzle sont remises ensemble : ça c’est le premier cercle. Le deuxième cercle c’est la même chose, plus un deuxième week-end, et le troisième cercle c’est un troisième week-end en plus et une semaine de vacances banalisée où ils viennent faire du théâtre toute la semaine, ce qu’on n’a pas pu faire là à cause du Covid. On a dû s’arranger et tout, mais on a su trouver de bons compromis avec le CDN et le collège pendant quinze jours quand même, répéter pendant les heures de cours, deux week-end de suite etc. … Donc on a un volume horaire qui a été amputé de quasiment sa moitié, et en même temps on a eu un gros rassemblement sur les quinze derniers jours qui permettent de mobiliser tout le monde vraiment. Donc nous en avons perdu mais il y a aussi quelque chose de gagné d’un côté.

Notre Antigone © CDN Rouen© CDN Rouen

Le LaboLa crise sanitaire n’a rien facilité j’imagine…

Anthony PoupardNon, mais en même temps ce qu’il a facilité c’est la bonne volonté et le dynamisme des retrouvailles. Parce que nous avons été empêchés par deux fois (de se réunir) cette année. Pour les gamins c’était très très frustrant parce qu’ils ont assez vite compris qu’il y avait là un enjeu, un vrai pari à relever, du coup ils ont eu l’herbe coupée sous leurs pieds, comme nous en fait, comme toute l’équipe en fait. C’est pas plus les gamins que nous, que tout le monde. Alors pendant le troisième confinement on s’est dit on a un mois et demi pour continuer à apprendre son texte, pour continuer à articuler, à parler fort, chez soi, dans son jardin ! ils ont même fait des italiennes en visio… après on s’organise maintenant. Donc on a fini par trouver de quoi les maintenir en distanciel et quand on s’est retrouvé ça a tout de suite été très joyeux, très dynamique. C’est sûr que ce n’est pas une chose qu’on a envie de traverser chaque année, mais je reconnais quand même que quand tout à coup on s’est remis à faire du théâtre, on a jamais autant apprécié d’en faire quoi…

 

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